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Pollution maritime : les “scrubbers” au tribunal

Un capitaine pourrait écoper d’une lourde amende pour avoir pollué la mer avec des résidus de ses filtres à air.

Le tribunal correctionnel de Marseille a examiné un cas d’utilisation inappropriée de “scrubbers”, ces dispositifs installés sur les navires pour réduire la pollution atmosphérique mais qui déversent ensuite leurs résidus polluants en mer. Le parquet a requis une amende de 50 000 euros contre un capitaine philippin pour “pollution de la mer territoriale”, une amende significative dans une affaire qui pourrait faire jurisprudence.

Un million de litres d’eau polluée

Les scrubbers, utilisés par environ 4 000 navires dans le monde, permettent de diminuer les émissions de particules fines dans l’atmosphère. Toutefois, leur fonctionnement en “open loop”, ou “boucle ouverte”, implique que les résidus filtrés soient rejetés dans l’eau, ce qui cause une pollution marine significative. Depuis janvier 2022, la réglementation exige que ces filtres soient utilisés en “boucle fermée” à moins de trois miles nautiques des côtes pour éviter que les eaux de lavage polluées ne soient déversées en mer.

L’affaire concerne le navire Seaforce, immatriculé à Malte pour le compte d’un armateur grec. En mars 2023, lors d’un contrôle au port de Fos-sur-Mer, la gendarmerie maritime a constaté que plus d’un million de litres d’eau polluée avaient été rejetés à proximité des quais. Bien que l’utilisation de scrubbers soit permise, elle est soumise à des règles strictes qui n’ont pas été respectées dans ce cas.

Lors de la première audience en novembre 2023, le procureur Michel Sastre a demandé à requalifier les faits pour prendre en compte l’impact environnemental de l’infraction et potentiellement imposer une amende plus élevée. Le capitaine, avec plus de vingt ans de carrière, a affirmé avoir donné l’ordre de passer les filtres en “boucle fermée” à l’approche des côtes, mais cet ordre n’a pas été suivi par le chef mécanicien.

Un question d’économie et non pas d’écologie

Pascal Giano, chef du centre de sécurité des navires de Marseille, a témoigné en tant qu’expert, rappelant que la législation est bien connue et généralement respectée, notamment sur les gros navires de croisière. Cependant, il a souligné que la responsabilité de s’assurer de la bonne utilisation des scrubbers revient à l’armateur, qui, dans ce cas, n’a pas été poursuivi.

“Le fioul qu’utilisent les navires, même lorsqu’il respecte la réglementation, reste 100 fois plus polluant que le diesel. La philosophie des scrubbers, c’est dire qu’au lieu de polluer l’air, on va polluer la mer”.

Isabelle Vergnoux, avocate

Les parties civiles, dont l’Association de protection des animaux sauvages (Aspa), France Nature environnement Bouches-du-Rhône (FNE13) et France Nature Environnement Provence-Alpes-Côte d’Azur, ont dénoncé l’utilisation des scrubbers pour des raisons économiques. Ces filtres permettent en effet aux navires d’utiliser un carburant moins cher mais plus polluant, en rejetant les résidus de soufre en mer. Le procureur a mis en avant que les faits se sont déroulés dans une zone écologiquement fragile, ajoutant à la gravité de la situation.

La défense du capitaine a plaidé la relaxe, évoquant une confusion entre la responsabilité individuelle de son client et celle du secteur du fret maritime dans son ensemble. Selon elle, il existe un vide juridique concernant la réglementation des déchets des scrubbers.

FNE13 s’est portée partie civile. Le verdict pour le Seaforce est attendu le 21 octobre.


Plus d’infos et contact : Stéphane Coppey, Délégué au juridique 07.66.85.03.62