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Contournement routier Martigues/Port-de-Bouc : biodiversité en péril

Le projet de contournement routier de Martigues – Port-de-Bouc vise à détourner le trafic de la RN568, saturée et traversant des zones urbaines denses. Pensé pour améliorer la sécurité, la qualité de vie et soutenir le développement économique local, ce projet suscite de vifs débats, notamment sur ses impacts environnementaux majeurs. 

Le contournement prévoit la création d’une voie express de 6,9 à 8,3 km, comprenant trois échangeurs, douze ouvrages d’art dont trois viaducs, et une tranchée couverte, sur une emprise maximale de 84 hectares. Il s’insère dans un territoire riche en zones humides, espaces boisés, milieux agricoles et habitats naturels, à proximité immédiate de l’étang de l’Estomac, des Salins de Fos et du village de Fos-sur-Mer. Le projet a été déclaré d’utilité publique (DUP) par arrêté interministériel du 1er février 2017.

L’objectif affiché est de réduire les nuisances sonores et atmosphériques dans les centres urbains, d’améliorer la sécurité (notamment liée au transport de matières dangereuses) et de soutenir la dynamique industrielle de la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer. Mais cette ambition se heurte à la réalité écologique d’un territoire déjà fortement contraint.

le projet s’insère dans des milieux naturels riches, identifiée par des zonages de protection ou d’inventaire nombreux :

  • trois arrêtés préfectoraux de protection de biotope
  • la réserve naturelle nationale des Coussouls de Crau
  • la réserve naturelle régionale Pourra – Domaine du Ranquet
  • la zone de protection spéciale (ZPS) Étangs entre Istres et Fos
  • sept autres sites Natura 2000
  • les zones spéciales de conservation (ZSC – au titre de la directive Habitats-Faune-Flore) Crau centrale – Crau sèche, Côte bleue – chaîne de l’Estaque, Côte bleue marine, Camargue et Rhône aval ;
  • les ZPS (au titre de la directive Oiseaux) Crau et Camargue, le parc naturel régional de Camargue (à 6 km)
  • enfin quatre zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (Znieff), deux de type (Salins de Fos-La Marronède et Étangs de Lavalduc et d’Engrenier) et deux de type II (Étang de l’Estomac – Salins de Fos – La Marronède et Étangs de Lavalduc, d’Engrenier, de Citis et du Pourra – Salins de Rassuen), qui toutes recoupent la zone d’étude.
Etang de Lavalduc • © CC Source: flickr.com / Auteur: mildiou

Impacts directs sur la biodiversité et les milieux naturels

Destruction et fragmentation d’habitats naturels

Le tracé retenu (variante 2bis) traverse des milieux à enjeux écologiques variés : zones humides, prairies méditerranéennes, espaces boisés, corridors écologiques. Le chantier entraînera la destruction ou la fragmentation de près de 22 hectares d’habitats à enjeu modéré pour les mammifères, en particulier les chiroptères (chauves-souris) dont 13 espèces recensées, certaines protégées comme le Minioptère de Schreibers, le Grand murin et le Grand rhinolophe.

Les zones humides du sud de l’étang d’Engrenier et de la Marronède (proche des Salins de Fos) seront directement impactées, avec une coupure majeure de la zone humide sud, aggravant la fragmentation écologique. Cette fragmentation limite la circulation de la faune et perturbe les cycles biologiques de nombreuses espèces.

Les pertes écologiques sont chiffrées pour plusieurs espèces protégées ou patrimoniales :

  • Ononis mitissima
  • Minioptère de Schreibers
  • Lézard ocellé
  • Cortège d’oiseaux des milieux ouverts
  • Amphibiens (Pélobate cultripède, Pélodyte ponctué)
Lézard ocellé © CC Source: flickr.com / Auteur: 137696408@N07

Le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) souligne que le projet sous-estime ses impacts, notamment en omettant certaines espèces lors des inventaires et en ne prenant pas en compte les impacts indirects et cumulés.

Le Conseil national de la protection de la nature a émis un avis défavorable à la demande de dérogation pour destruction d’espèces protégées, estimant que les mesures prévues ne permettent pas d’éviter une perte nette de biodiversité et que les impacts sont sous-estimés. L’Autorité environnementale a également pointé des carences dans l’évaluation des impacts et l’absence de solutions alternatives crédibles.

Impacts sur les zones humides et la ressource en eau

Les zones humides traversées jouent un rôle majeur dans la régulation hydrologique, la filtration des eaux et l’accueil d’une biodiversité spécifique. Leur destruction ou fragmentation par le tracé du contournement risque de :

  • Diminuer la capacité d’absorption des crues
  • Altérer la qualité de l’eau par ruissellement pollué
  • Affecter les espèces dépendantes de ces milieux (oiseaux, amphibiens, insectes)

Le choix du tracé, bien que présenté comme limitant l’impact sur les zones humides, aboutit en réalité à une coupure nette de la zone sud de l’étang d’Engrenier, aggravant la vulnérabilité de ces milieux déjà menacés par l’urbanisation et l’industrie.

Carte : Etang de Lavalduc, l’Engrenier, de Citis, du Pourra

Pollution, bruit et effets sanitaires

Si le projet vise à réduire l’exposition des habitants des centres urbains à la pollution, il transfère en réalité une large part des nuisances vers le sud du tracé, secteur encore peu urbanisé mais potentiellement appelé à se densifier. L’absence d’étude approfondie sur la dispersion des polluants dans ce secteur, compte tenu de l’aérologie locale, est pointée comme une carence majeure.

Les grandes infrastructures routières génèrent un bruit continu et des vibrations, affectant la faune (en particulier les mammifères et oiseaux) et la santé humaine. Ces nuisances, peu prises en compte dans le dossier, risquent d’impacter durablement la qualité de vie des riverains du nouveau tracé et la quiétude des espaces naturels traversés.

Artificialisation des sols, matériaux et impacts indirects

Le projet nécessite l’artificialisation de 84 hectares, principalement des terres agricoles et naturelles, aggravant la pression sur les espaces non urbanisés du secteur. Cette artificialisation contribue à la perte de biodiversité, à la fragmentation des habitats et à la diminution des surfaces agricoles utiles.

La construction implique le déplacement de 500 000 m³ de déblais et 900 000 m³ de remblais, avec un déficit de 400 000 m³ à compenser. Si une partie des matériaux sera réemployée, l’extraction et le transport de matériaux supplémentaires génèrent des impacts indirects souvent sous-estimés : émissions de CO₂, perturbations de sites naturels, consommation de ressources non renouvelables.

Mesures d’évitement, de réduction et de compensation : des réponses insuffisantes

Le dossier prévoit 1 mesure d’évitement, 21 mesures de réduction et 8 d’accompagnement, comme le déplacement du tracé pour éviter un espace boisé classé, la limitation de la fragmentation des prairies humides, ou la création de passages à faune. Cependant, ces mesures sont jugées insuffisantes par les experts, notamment pour compenser la perte d’habitats et la fragmentation écologique.

Le CNPN relève que la séquence « éviter, réduire, compenser » (ERC) présente d’importantes lacunes : sous-évaluation des impacts, absence d’intégration des impacts cumulés, choix de mesures compensatoires trop limitées et peu adaptées à la réalité du terrain. Il recommande de renforcer la réserve naturelle régionale impactée et de préserver l’ensemble des habitats entre l’infrastructure et la zone urbaine.

Effets induits et risques à long terme

Toute nouvelle infrastructure routière encourage l’usage de la voiture et du transport routier, allant à l’encontre des objectifs de neutralité carbone affichés par la France et l’Europe. Le projet, censé accompagner la décarbonation de la zone industrialo-portuaire, pourrait paradoxalement aggraver les émissions de gaz à effet de serre à long terme, en favorisant le trafic poids lourds et la croissance urbaine.

Le déplacement des nuisances vers des secteurs actuellement peu urbanisés pourrait accélérer l’urbanisation future, aggravant la pression sur les milieux naturels et les espaces agricoles. Aucune garantie n’est apportée sur l’absence de projets induits par la création de cette infrastructure.

Le projet de contournement de Martigues – Port-de-Bouc cristallise les tensions entre impératifs de développement économique, sécurité et préservation de l’environnement. Si ses objectifs de réduction des nuisances urbaines et de soutien à la dynamique industrielle sont réels, ses impacts environnementaux, destruction d’habitats, fragmentation écologique, artificialisation des sols, risques accrus pour la biodiversité et les zones humides, sont majeurs et insuffisamment compensés. Les avis défavorables des instances environnementales rappellent la nécessité d’une approche plus ambitieuse et intégrée, conciliant véritablement les enjeux écologiques et sociétaux.


Photos : © CC Source: flickr.com / Auteur: François Schwarz © © CC Source: flickr.com / Auteur: Lauric Santiago